Solitude au travail
Le sentiment de solitude, une réalité professionnelle révélatrice d'insatisfaction relationnelle
– Regards croisés –
Laure Ceresiani, psychologue du travail et Alain Arsoneau, médiateur humaniste
« La transformation du monde du travail en 2020 »
« Depuis mars 2020, j’ai accompagné des travailleurs et ai observé la grande solitude qu’ils vivent au quotidien. Chacun derrière son écran, limitant pour respecter les mesures les contacts sociaux, les travailleurs de 2020 souffrent. De plus, il n’y a plus de lieux de respiration, pour rencontrer du monde, décompresser ou se recentrer ni de sas entre la vie privée et la vie professionnelle, et ce sont des sources supplémentaires de pression constante. »
Laure Ceresiani,
Spécialiste en psychopathologie du travail,
Thérapeute, psychologue, experte en intelligence émotionnelle et relationnelle
Il y a solitude et solitude
La solitude est nécessaire à l’être pour revenir à lui-même. Cependant, dans le climat actuel, la solitude devient de l’isolement : elle est contrainte et non choisie, et peut donc être
source de souffrance : de la simple démotivation à la perte profonde de sens.
Personne n’est à l’abri des impacts de cette crise. Laure nous partage son expérience personnelle : « Depuis le mois de mars, j’observe aussi ce sentiment de solitude dans ma vie professionnelle. Après avoir vécu des moments de déni, de réactions excessives comme la panique et l’agitation, j’ai pris conscience que moi aussi j’étais affectée par la crise et les mesures liées au COVID-19, j’ai compris qu’il était primordial de m’accorder du temps pour revenir à moi ».
Revenir à soi. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
« J’ai pris le temps de me déposer pour me poser les questions essentielles : Que ressens-tu ? Quels sont tes besoins ? Et comment peux-tu répondre à ces besoins ? Qu’est-ce qui est en ton pouvoir ? »
En se posant ces questions, nous retrouvons une force d’action qui parfois est ensevelie sous le découragement et la confusion.
« J’ai ainsi pris conscience que je vivais de la solitude, et que deux choix s’offraient à moi : rester dans la peur et l’isolement ou choisir le lien et mon besoin de relation. En quelques minutes, mon choix était fait : j’ai pris une grande inspiration, j’ai attrapé mon téléphone et j’ai passé quelques coups de fils. »
Dit comme cela, ça a l’air simple, et pourtant… Faire ce mouvement de revenir à soi est parfois difficile en période de stress !
Le monde du travail se transforme profondément
Ce qui peut fonctionner pour gérer le stress à court terme, comme taire l’épuisement ou cacher les tensions jusqu’à un retour à la normale ne fonctionne pas dans cette période post-crise qui, vraisemblablement transforme notre société et la façon de travailler sans certitude d’un retour à la normalité que nous avons connue jusqu’alors.
Le monde du travail se transforme profondément
« Si je partage ceci, c’est parce-que, ce qui m’a le plus frappé dans mes consultations, c’est la sensation de subir. » « Je n’ai pas le choix, c’est comme ça » ou « Ce n’est pas le moment de m’occuper de mes besoins on verra ça après la crise » nous partage Laure Ceresiani. Oui, mais la crise s’installe. Ce qui peut fonctionner pour gérer le stress à court terme, comme taire l’épuisement ou cacher les tensions, ne fonctionne pas dans cette période post-crise qui, vraisemblablement transforme notre société sans laisser présager de retour à la normalité que nous avons connue auparavant. C’est de cet isolement-là dont nous vous parlons aujourd’hui. Celui dans lequel vous restez seul avec vos émotions désagréables, soit en les niant, soit en les projetant sur les autres ou sur l’extérieur.
Et rester dans la solitude peut devenir un fonctionnement subtil, surtout dans cette période où la peur est exacerbée. Après le regard et l’expérience de Laure, Voici ce qu’Alain Arsoneau nous partage.
« Ce que j’ai observé pour ma part chez les managers et les collaborateurs que j’accompagne, c’est un comportement d’hyper vigilance qui accentue le sentiment d’isolement, quand bien même il existe du soutien potentiel. Cela s’explique par l’impact des émotions sur la raison : la peur et le stress influencent la partie du cerveau qui déduit et analyse. L’émotion agit alors comme un filtre : c’est le cerveau reptilien qui prend le contrôle et les personnes vivant du stress ou qui sont sous le choc, n’entendent que les messages qui valident l’hypervigilance. »
Alain Arsoneau,
CEO de SIWA, Médiateur humaniste,
Expert en intelligence émotionnelle et relationnelle
Le soutien potentiel est là, mais l’isolement nous empêche de le voir
« Dans mon expérience professionnelle, j’ai pu voir des managers en difficultés qui ne voyaient pas de soutien de leur direction, alors que celle-ci avait un discours clair de pilier et d’ouverture ».
A. Arsoneau.
Le levier d’action se situe donc dans l’écoute de ce stress et de cette tension pour poser agir.
Quelques pistes pour écouter les messages du stress :
Vérifier les attentes de nos supérieurs ;
Poser une limite ;
S’exprimer dans ses difficultés ;
Prendre le temps de calmer l’agitation et prendre un temps de recul pour faire le clair en soi ;
Bien sûr, il peut s’avérer réel que les managers ou les collaborateurs en difficultés n’aient réellement pas de soutien. Dans ce cas, comme dans l’autre, la solitude étant réelle, le levier d’action se situe également dans l’écoute du stress provoqué par ce manque de soutien, et dans la communication et la relation avec la hiérarchie.
« Personnellement, j’ai également vécu de la solitude au travail, et pourtant, je suis quelqu’un de plutôt solitaire et être seul est un espace connu et que j’apprécie. Cependant, comme beaucoup de chefs d’entreprise, ce qui me pousse en avant en permanence, c’est la relation et le lien avec mes clients. Cette crise a tout bouleversé dans ma façon de travailler. Lorsqu’en début de confinement mes activités ont été déprogrammées une à une, j’ai ressenti énormément de manque de sens, d’un coup, de ne pouvoir faire tout simplement mon métier : aider les managers et les personnes du monde de l’entreprise, transmettre l’intelligence émotionnelle, être au service de mes clients. Ce sentiment de solitude, venait donc non seulement du manque de relation, mais était en fait également une forme de frustration. Se sentir seul peut également venir du fait de ne pas se sentir soi-même, de se sentir coupé d’une partie fondamentale de sa personnalité, de ses valeurs, que je véhicule, pour ma part, en exerçant mon métier de médiateur. »
Se sentir seul, une réalité intérieure
« Se sentir seul peut venir du fait de ne pas se sentir soi-même, de se sentir coupé d’une partie fondamentale de sa personnalité, de ses valeurs. ». A. Arsoneau.
Au regard de ces expériences et observations professionnelles, voici quelques pistes que nous vous encourageons à suivre afin de développer l’écoute de vous en lien avec ce sentiment de solitude au travail si vous en ressentez le besoin :
- Écouter dans votre quotidien, dans le corps et les émotions les impacts de la crise sur vous.
- Vous observer dans votre fonctionnement relationnel : vous repliez-vous sur vous ? Devenez-vous autoritaire ou irritable ?
- Jauger votre aisance à ressentir le besoin de soutien et votre capacité à demander de l’aide.
- Reprendre votre responsabilité et vous poser des questions qui vous aideront à passer à l’action : Ai-je besoin d’aide ? De quoi ai-je besoin ? A qui puis-je m’adresser ?
- Et… Passer à l’action !
Interview Regards croisés « La transformation du monde du travail en 2020 »,
Laure Ceresiani, Psychologue du travail, et Alain Arsoneau, médiateur humaniste.
Propos recueillis par Christine Lambert, Rédactrice et Chargée de communication.
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