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10 jours pour te dire aurevoir le 9 Janvier 2024

4 Mar 2024 | Non classé

10 jours pour te dire au revoir le 9 Janvier 2024

Ce texte s’adresse à vous tous qui vivez un deuil. Il peut autant s’agir de la mort d’un être cher que de la perte d’un pays, d’amis, d’un métier, d’une relation amoureuse… Mais aussi d’un idéal, d’une entreprise, de sa santé, de sa jeunesse… Ces pertes nous rendent vulnérables car elles provoquent des remous dans nos bases, notre socle. Des failles aussi dans nos fondations, notre identité, notre histoire.

Pour sortir du deuil, il faut sortir de la rumination, de l’obsession de se souvenir de tout ce qui s’est passé au moment de la perte. Cette rumination qui, à la fois fait mal mais qui peut aussi être salutaire, pour certains, pour faire ce chemin d’apaisement et d’acceptation. Un chemin qui peut prendre du temps. Cet apaisement est souvent possible mais ne l’est pas toujours car la perte est trop lourde.

Depuis Mars 2023, je n’ai plus écrit pour ce blog. À cette époque ma mère m’annonçait son cancer et mon père perdait ses repères. À ce jour mon père et ma mère sont décédés.

J’ai entamé ce temps du deuil… Et j’ouvre avec vous ce chemin « pour cesser de trouver inacceptable ce qui est arrivé » avec ce texte « 10 jours pour te dire aurevoir » :

Chambre 119 en SSR. Lieu de ton dernier souffle. Là ou tu devais te remettre du covid ! Là où tu as passé à peine 3h. Tu es parti avec une partie de moi… d’où je viens… Je suis perdue, démunie, amputée de mes liens les plus profonds… Tu emportes avec toi l’histoire de ma lignée… de nous…

Je t’ai toujours trouvé beau… même vieux ! J’étais fière de toi, de ton métier (tailleur). J’aimais ta beauté, ton humour, ta bonté et ta patience… Tout, même tes écarts ! Toi, tu n’étais fier de rien de toi. Et pourtant… Tu nous as donné un socle, une base, de l’amour, avec tant de simplicité… et tellement plus… Tu as été notre pilier à Bruno et moi.

D’abord, il y a eu la « dégénérescence cognitive ». Elle a été le premier deuil que j’ai eu à faire de toi, même si tu me faisais sourire avec tes lubies : « Je vais nettoyer la cour des feuilles c’est moche ! ». Faire ton café devenait compliqué comme allumer la télévision. Parfois tu étais autonome et pourtant perdu !

Cette dernière année 2023 tu allais encore faire vos quelques courses mais aussi à la pharmacie pour acheter tes cigarettes… au tabac pour acheter de la viande… alors des dames du village t’emmenaient gentiment au tabac pour tes cigarettes ou chez le boucher pour la viande… et finalement tu t’en sortais pas mal !

Puis avec la maladie de maman, la conduisant à l’hôpital, nous n’avons pu t’épargner ces deux semaines en Ehpad. Tu as voulu te sauver… Alors ils t’ont placé en unité protégée… Et là, deux fois je t’ai vu pleurer : « je n’assume pas » m’as-tu dit  en sanglotant. Je n’ai pas tout de suite compris ce que tu disais mais j’ai compris ta souffrance, ta douleur. Ça se voyait, ça respirait à travers tous les pores de ton corps. Tu étais confronté à tes manquements là où auparavant maman compensait.

Mais tu t’es adapté ! À 91 ans tu as continué de vivre tel que tu étais. Tu m’as épatée, tu étais formidable. Tu communiquais souvent avec tes soignants à défaut de communiquer avec les autres résidents de l’Ehpad qui étaient à un stade bien plus avancé que toi dans la maladie. Tu me faisais rire, avec ton air espiègle, lorsque tu me disais que tu ne comprenais pas celle-ci qui criait, ou celui-là qui parlait une langue étrange…. Eh oui il avait perdu les mots, les lettres de ses mots étaient emmêlées. Tu ne te reconnaissais pas dans « ces vieux » qui ne te ressemblait pas. Tous souffraient de maladies cognitives très avancées mais toi tu n’étais pas là pour ça, tu étais là parce que tu avais voulu te sauver. L’endroit était inadapté pour toi, mais tu t’es adapté. Tu es entré en relation avec ceux avec qui tu le pouvais, ceux qui pouvaient te parler et rire avec toi et ça t’a permis de tenir, sans ta femme qui te manquait.

Tu continuais à faire de l’humour. Tes soignants t’appréciaient pour cela et étaient étonnés que tu sois placé là. Tu étais si touchant lorsqu’au téléphone ou lorsque je te rendais visite tu me disais « Tu pourras m’amener un briquet parce que ce n’est pas facile, je ne peux pas toujours fumer comme je veux, il faut que je demande ». Et oui, parce-que cela faisait partie de ta maladie, tu oubliais . Alors il t’était interdit de garder un briquet… il fallait demander aux soignants. Tu oubliais que tu fumais alors tu voulais une cigarette tout le temps… Tu étais si drôle dans la manière de demander… comme un enfant qui fait une cachoterie ! Espiègle tu l’es resté presque jusqu’au bout !

Malgré tout cela j’ai passé des moments délicieux avec toi dans cet établissement. Même si je voyais que ta démarche devenait de plus en plus lente, même si je me rendais compte que tu ne refusais pas de t’appuyer sur mon bras pour sortir et marcher. Même si tu pleurais parfois et heureusement pour moi, pas toujours.

Je me souviens de ce moment passé dans ta chambre, je t’avais amené ta tablette… Tu as reçu cette tablette comme un cadeau : « C’est bien cette tablette que tu as trouvée ! », « Elle est à toi Papa », « Ah oui ! elle est à moi ? Elle est bien merci ». Pendant un long moment tu as joué à placer des briques. J’étais à côté de toi, je t’aidais à l’allumer, à relancer le jeu et j’ai adoré ça, c’était bon d’être là avec toi et d’être là pour toi. Te tenir compagnie était un cadeau. J’en avais conscience et je m’en suis nourrie. Tu me disais :« Je préfère être avec toi » avec ton air coquin, tes yeux pétillants, en regardant ces vieillards que tu ne comprenais pas.

Une quinzaine de jours plus tard tu sortais. Bruno est venu te chercher. Libéré ! Maman sortait de l’hôpital. Tu pouvais enfin rentrer chez toi et retrouver ta femme. Je t’ai appelé sur whatsApp. Nous étions à la Rochelle avec Nadia et Dalila. Bruno était avec toi à la maison. Tu attendais maman le lendemain. Tu as voulu acheter des fleurs pour l’accueillir… C’était tout toi, aimant, touchant, attentif. Ca me touche encore de penser à cet homme que tu étais, à cet homme aussi tellement attaché à ta femme, à ta mimi.

Mais malheureusement tu es sorti de l’Ehpad avec le Covid et il a eu raison de toi en 10 jours. Je pensais que maman allait partir avant toi et que son cancer allait l’emporter … Mais tu es parti avant elle ! Ce dernier jour, ces dernières heures dans cette chambre de convalescence 119 où à mon arrivée, tu m’as pris la main m’implorant : « Je suis fatigué ». C’est comme si tu me demandais de partir. J’ai compris je crois mais je ne voulais pas… Je ne voulais pas que tu partes.

Bêtement j’ai rangé toutes tes affaires, j’ai accroché délicatement cette nouvelle robe de chambre achetée la veille sur les conseils de maman. Je l’avais choisie épaisse, molletonnée… J’étais heureuse de la mettre là, rassurée à l’idée que tu n’aurais pas froid, toi qui avais toujours si froid !

Alors tout à côté de toi, dans cette chambre j’ai rangé, j’ai mangé, bu un café, tenté de te faire boire, je t’ai massé les pieds, les mains, j’ai passé mes mains sur ta tête, j’ai posé mes mains sur ta poitrine, je t’ai embrassé sur le front… Je me rappelle ce moment où tu tenais ma main, si fort… Je l’ai lâché pour la mettre sur ta poitrine… Je te regardais.

J’ai eu Bruno au téléphone pendant que j’avais une main sur toi, et tu as arrêté de respirer. Je t’ai dit « respires Papa ». Alors tu as repris ta respiration… Puis deux grandes respirations, profondes… Un stop… « Respires Papa »… Plus rien… Tes yeux se sont fermés étrangement, très doucement… Je me souviens m’être dit « c’est étrange comme ses yeux se ferment ». Ta respiration était plus douce, plus de râle… Et je n’ai pas compris… J’étais rassurée… « Il se calme ouf »… Un grand souffle et plus rien ! NON… non… mais non ! « Papa respire »… Je sonne… Je cours dans le couloir : « Je crois que mon père ne respire plus ». Tu étais parti Papa.

C’était trop court, papa. Je voulais encore du temps avec toi, rien qu’avec toi. Mais tu es parti. Je sais… tu étais fatigué, fatigué de vieillir, fatigué de t’ennuyer.

Le médecin m’annonce le décès. Je le sais déjà. Je reste là. Comme une somnambule. Je prépare des affaires pour qu’ils te changent. J’appelle Christelle, je suis perdue, je ne sais pas quoi faire. Elle m’aide. Maman est à l’hôpital. Mon amour vient de décoller pour la Tunisie. Bruno, mon frère doit prendre la voiture cet après-midi pour me rejoindre et voir nos parents. Je dois lui annoncer que Papa est parti. J’ai peur pour lui. Laurence, sa femme, va conduire. Ils arriveront en fin de journée. Je suis rassurée.

Je rentre dans ta chambre. Tu es installé à plat sur le lit. Tes mains jointes. Tu parais si paisible. Tu es toujours aussi beau mon vieux Papa. Et là je reste, je range tes affaires installées quelques heures auparavant. Et puis je reste encore. Je n’arrive pas à te laisser. Mais Maman m’attend. Je t’embrasse. Et je pars. Je fais face et je tiens compagnie à Maman en attendant Bruno et Laurence. « Comment va Papa ? ». Ça fait une dizaine de jours qu’elle ne l’a pas vu… : « Oh ça va … ». Je réponds de manière évasive. Je détourne son attention, je ne veux pas trop mentir. Pour tenir j’évite de répondre. J’attends. Bruno arrive. Je préviens la voisine de chambre de maman que mon père est décédé dans l’après-midi et que nous allons l’annoncer à ma mère. Je ne suis pas sûre que maman ait vraiment réalisé ou peut-être a-t-elle trop bien réalisé et décidé de te rejoindre un peu plus d’un mois plus tard.

Tu me manques, vous me manquez, un long chemin d’acceptation commence pour moi. Le chagrin, la colère, le manque, l’infinie tristesse, tout se mélange. Je reprends ma vie sans vous… non pas sans vous… vous êtes avec moi dans mon cœur… pour toujours…

Chères lectrices, chers lecteurs, parlez de vos deuils, exprimez votre peine, ne restez pas dans la solitude digne de celle/celui qui ne se plaint pas.

À la mémoire de mon père (27/11/1931 – 24/11/2023) et de ma mère (03/06/1943 – 01/01/2024).
À la mémoire d’Anne Ancelin Schützenberger et Evelyne Bissonne Jeufroy décédée le 20 Février 2024, auteures de « Sortir du deuil. Surmonter son chagrin et réapprendre à vivre » aux éditions Payot.

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